Tous les CNP, Sociétés savantes de gériatrie, neurologie, pharmacie, pharmacologie et thérapeutique, médecine générale et psychiatrie, et associations de personnes concernées ici représentées et signataires de ce communiqué soutiennent l’action et les demandes de révision des modalités de prescription et de surveillance hématologiques de la Clozapine portée par le groupe d’expert français Task Force Clozapine auquel nous participons.
Concernant les modalités de prescription, à l’heure où la démographie médicale des médecins spécialistes français est en décroissance1, il nous paraît intenable de maintenir les règles de prescription actuelles de la clozapine : (i) initiation et renouvellement annuel par un médecin hospitalier psychiatre, gériatre ou neurologue et (ii) un renouvellement intercurrent par ces mêmes spécialistes sans distinction de statut d’exercice. Après la phase d’initiation et quand le traitement est stabilisé, le renouvellement intercurrent de la prescription de clozapine nécessite essentiellement une lecture d’une numération formule sanguine, examen que tout médecin est en capacité d’interpréter, notamment le médecin spécialiste en médecine générale.
Ces limitations de prescription sont à l’origine d’une sous-prescription de la clozapine2 mais également d’un recours non nécessaire à des consultations fréquentes avec des médecins spécialistes pour de simples renouvellements d’ordonnance, consultations qui pourraient bénéficier fort plus utilement à d’autres patients.
De plus, l’évolution actuelle des délégations de tâches médicales entraîne maintenant des situations paradoxales. En effet, un infirmier en pratique avancée en psychiatrie et santé mentale peut renouveler une ordonnance de clozapine tout comme des infirmiers diplômés d’Etat dans le cadre de protocole de coopération3 ; alors que le médecin généraliste du patient ne le peut pas.
De la même manière que la primo-prescription de méthylphénidate a été ouverte aux médecins spécialistes non hospitaliers4, nous demandons que l’initiation et le renouvellement annuel d’un traitement par clozapine soit possible par tout médecin gériatre, neurologue ou psychiatre quel que soit son statut d’exercice. Nous demandons également que les renouvellements d’ordonnance intercurrents liés au rythme de surveillance hématologique du traitement puissent être effectués par tout médecin, notamment les médecins spécialistes en médecine générale.
Les contraintes liées à la surveillance hématologique constituent un autre frein notoire à l’initiation et la poursuite du traitement par clozapine. Plusieurs études récentes suggèrent que la réglementation concernant la surveillance mensuelle pourrait être assouplie. Une méta-analyse a montré que 38% des cas d’agranulocytose surviennent le 1er mois après l’initiation, 56% dans les deux mois, 84% dans les 18 premières semaines, et 89% dans la première année 5. Une étude réalisée sur les données de pharmacovigilance australiennes et néo zélandaises a montré que le risque de neutropénie sévère était négligeable au bout de deux ans 6. Il devient alors comparable à celui induit par d’autres antipsychotiques7, voire inférieur à celui observé pour d’autres psychotropes comme la carbamazépine. Aucune surveillance hématologique n’est requise pour ces psychotropes.
Ainsi, dans certains pays européens, les NFS ne sont pas obligatoires pour la délivrance de la clozapine (Albanie, Bulgarie, Espagne, Finlande, Islande, Pologne, Portugal)8. Aux Pays-Bas, selon les recommandations du Netherlands Clozapine Collaboration group, les NFS peuvent depuis 2006 être stoppées ou espacées à trois mois au bout de six mois de traitement. En Islande, après les 18 premières semaines de surveillance, les NFS non obligatoires sont réalisées environ tous les quatre mois. Plusieurs pays ont adapté les normes hématologiques concernant la neutropénie bénigne ethnique, permettant aux personnes concernées d’avoir accès la clozapine (Afrique du Sud, Canada, Islande, Israël, Qatar, Royaume-Uni et USA).
La surveillance hématologique mobilise du temps soignant dans les services de psychiatrie, les laboratoires d’analyse médicale et les pharmacies. Elle nécessite des adaptations organisationnelles parfois complexes dans les structures ambulatoires pour garantir la continuité des soins, notamment en cette période de sous-effectif médical et paramédical. Une modélisation coût-effectivité a comparé quatre modalités de surveillance hématologique plus ou moins stricte et une modalité avec absence totale de surveillance dans une cohorte théorique de 100 000 personnes traitées par clozapine : l’absence de surveillance est plus performante sur le critère coût-efficacité que les quatre autres modalités, sans différence en termes de mortalité sur trois ans 9.
Propositions
Devant tous ces arguments, nous demandons unanimement les modifications suivantes des conditions de prescriptions et de surveillance hématologiques de la Clozapine
1. Assouplir les règles de prescription
- Possibilité d’initiation par les gériatres, neurologues et psychiatres non hospitaliers
- Possibilité de renouvellement intercurrent du traitement au bout de 6 mois par les médecins généralistes et autres spécialistes
- Avec un renouvellement annuel par un gériatre, neurologue ou psychiatre
- Pour les patients atteints de troubles psychiatriques résistants, passées les 2 premières années de traitement ininterrompu, une consultation psychiatrique semestrielle au minimum est nécessaire, ainsi que si l’état clinique le justifie, le maintien d’un suivi par des professionnels de santé mentale
2. Assouplir la surveillance hématologique
- 1ère année de traitement
- Maintien de la surveillance hématologique hebdomadaire les 18 premières semaines
- Maintien de la surveillance hématologique mensuelle
- 2ème année de traitement
- Surveillance hématologique trimestrielle chez les patients n’ayant pas eu d’épisode de neutropénie sévère au cours de la 1ère année
- Après la 2ème année de traitement
- Surveillance hématologique annuelle chez les patients n’ayant pas eu d’épisode de neutropénie sévère au cours des deux 1ère années
3. Adapter les normes pour la neutropénie bénigne ethnique
- Sur le modèle de l’adaptation déjà effective dans d’autres pays, arrêt de la clozapine si neutrophiles < 1000/mm3 au lieu de < 1500/mm3
Signataires
- Task Force Clozapine
- Conseil National Professionnel de Gériatrie
- Collège de la Médecine générale
- Fédération Française de Neurologie
- Association des Aidants et Malades à Corps de Lewy
- Association Française de Psychiatrie Biologique et Neuropsychopharmacologie
- Association des Jeunes Psychiatres et Jeunes Addictologues
- Collectif Schizophrénie
- France Parkinson
- Fédération française de soins psychiatriques intensifs
- Réseau National des Centres de Ressources et d’Expertise en PsychoPharmacologie
- Société Francophone Pharmaciens et Psychiatres
- Société Francophone de Psychogériatrie et Psychiatrie de la Personne Âgée
- Société Française de Gériatrie et Gérontologie
- Société Francophone des Mouvements Anormaux
- Société Française de Pharmacologie et Thérapeutique